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11 janvier 2016

Lettre à Alice Miller



Madame, je suis profondément émue à l’idée de vous écrire. Nous ne nous connaissons pas et vous êtes décédée depuis quelques années déjà, je vous écris donc comme on s’adresse à un esprit dans l’au-delà, et ça, c’est le genre de chose qui me plaît par-dessus tout.

Il me semble vous connaître un peu grâce à vos écrits, nombreux, que vous nous avez laissés et qui, jour après jour, sèment des graines d’espérance chez chaque lecteur.

Du « Drame de l’enfant doué » à « Ta vie sauvée enfin » vous ne cessez de dire ce que personne ne semble vouloir dire, à part vous, que la genèse de la violence est issue du mode de fonctionnement violent des parents sur leurs enfants. Il est vrai que depuis quelques années, je m’aperçois que les graines semées par vous commencent à germer. Brigitte Oriol, Pierre Lassus, Gérard Lopez, Olivier Maurel sont, entre autres, porteurs de votre message. 
 

Pourquoi, alors que vous avez laissé en héritage une douzaine de livres, pourquoi ce sujet reste-t-il à ce point tabou ? Combien de temps encore faudra-t-il pour que la majorité des gens ouvrent les yeux sur les défaillances parentales et cessent de minimiser les dégâts occasionnés sur des êtres sans défense (les bébés, les enfants, les ados) par leur(s) propres(s) géniteur(s) incapable(s) de se critiquer, de se voir tels qu’ils sont, maltraitants par leurs mots, par leurs gestes, par leur attitude cassante, déstructurante. Est-ce si difficile de se remettre en question, de remettre en question l’éducation qu’on a soi-même reçue et de décider enfin de faire évoluer les choses vers du mieux ?
Même en mettant sous le nez de certains psy les biographies non « aménagées » mais réelles, de certains tyrans, ou serial-killer, l’origine de la violence ne leur saute pas aux yeux.
Pourquoi tant de dénis ? Tant d’aveuglement ? Tant de « moi aussi j’ai été tapé, je n’en suis pas mort … » et le pire de tout « je le méritais ».

Ah bon ? Il est vrai qu’un nourrisson qui hurle, de faim, de froid, d’inconfort est un emmerdeur pour des parents qui aimeraient se poser un peu, respirer … et donc ont tous les droits pour le faire taire ! La bonne vieille méthode de la pédagogie noire dont vous parlez Alice dans « C’est pour ton bien » a encore de beaux jours devant elle … comment a-t-on pu écrire de tels manuels d’éducation, alors que ce ne sont que des modes d’emploi de dressage d’enfants … dans la violence, la contrainte, la méchanceté, pire que si c’était un animal …

Comment peut-on prôner les droits de l’Homme et accepter qu’un enfant reçoive des coups ? Frapper un adulte est interdit, frapper un enfant c’est de l’éducation ?? … 

Je ne peux que vous remercier pour le travail remarquable que vous avez fait en nous laissant vos livres, résultats de toutes vos expériences, de toutes vos interrogations, de toutes vos recherches.

Que vos livres soient comme des lumières dans l’obscurité de l’ignorance, des fenêtres ouvertes sur la connaissance, du baume pour aider à cicatriser les plaies laissées béantes, et surtout pour qu’enfin cesse la violence familiale, et au-delà de cette violence, celle dont elle est issue, au sein des sociétés qu’elles soient dites civilisées ou non.

Je ne peux pas finir cette lettre sans reprendre au moins un extrait de vos écrits. J’en ai choisi un dans l’avant-propos de « Notre corps ne ment jamais » parce qu’il me semble refléter un de vos messages le plus dérangeant et le plus aidant pour ceux qui acceptent de le lire …



Ce livre étudie les répercussions sur notre corps de nos émotions refoulées. Or c’est bien souvent la morale et la religion qui nous poussent à nier jusqu’à leur existence. Mon expérience de la psychothérapie – tant la mienne que celles dont j’ai observé les effets chez mes patients – m’a amenée à la conclusion que, lorsqu’on a été maltraité dans son enfance, seuls un refoulement massif et la déconnexion de ses véritables émotions permettent d’observer le Quatrième Commandement : « Tu honoreras ton père et ta mère. » En réalité, ces enfants sont hors d’état d’aimer et d’honorer leurs parents car, inconsciemment, ils n’ont pas cessé d’en avoir peur. Et, même s’ils le souhaitent, ils sont incapables de nouer une relation confiante et sereine.

On les verra généralement  plutôt faire preuve d’un attachement pathogène, composé d’un mélange de peur et de sentiment du devoir, qui ne peut se confondre avec le véritable amour – ce n’est qu’un simulacre, une façade. En outre, les êtres maltraités dans leur enfance espèrent souvent, leur vie durant, recevoir enfin l’amour qu’ils n’ont jamais connu. Ces attentes renforcent leur attachement aux parents, attachement que la morale traditionnelle appelle amour et est considéré comme une vertu. La plupart des thérapies actuellement en vigueur ne remettent guère en question ce schéma, et c’est le corps du patient qui paie le prix de ces conceptions « morales ».

Lorsqu’un être humain essaie de ressentir ce qu’il doit ressentir, et s’interdit d’éprouver ce qu’il ressent réellement, il tombe malade. A moins qu’il ne fasse payer la facture à ses enfants, en projetant sur eux ses émotions refoulées.

Mon intuition profonde est que ce processus psychobiologique est essentiel dans le comportement humain et qu’il a malheureusement été longtemps occulté par des exigences religieuses et morales.



Je pourrais, ma Chère Alice, recopier beaucoup d’autres passages, notamment la conclusion, mais ce ne serait plus là une lettre que je vous adresse mais un recueil de vos écrits.

Vous êtes LA personne que je peux remercier sincèrement aujourd’hui pour m’avoir ouvert les yeux sur ce que je ne voyais pas, sur ce que je ne pouvais pas voir, sur ce que je ne voulais pas voir, vous avez en quelque sorte sauvée ma vie, enfin !

http://www.alice-miller.com/


                                                    

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